Critique des articles du Projet de Traité Constitutionnel Européen Part : 1
[mais qu'en penser, de cette consitution, à la fin ?!!!? Je suis perplexe...]
de Serge Rivron
http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=13071
Après quelques-uns, tous tenants du NON au prochain référendum, je me
suis lancé dans le projet un peu longuet de lire et commenter le Traité
constitutionnel, avec mes moyens qui ne sont pas très lourds, mes
connaissances maigrelettes en Droit, et mes a priori que je voulais
éprouver, pour être plus sûr de mon vote. (je me suis également et
naturellement appuyé sur les réflexions de mes prédécesseurs dans cet
exercice, en gardant même jusqu’à leur formulation, quand elle m’a paru
intéressante)
Car pour être tout à fait honnête avant de livrer mon "analyse", je
dois préciser que j’ai commencé par pencher nettement pour le OUI,
étant d’un naturel optimiste et, en dépit de toutes les questions que
me posent le développement du projet européen et son élargissement
territorial, pensant (pour résumer très fort) qu’on a toujours intérêt
à travailler collectivement lorsqu’il s’agit de pérenniser la paix et
d’assurer à notre économie un certain règne en face d’autres
puissances.
Puis, de lecture en lecture d’articles et d’analyses qui toutes
prônaient plus ou moins fort le NON, en commençant de lire le Traité,
en entendant aussi le discours extrêmement pauvre des partisans du OUI,
j’ai commencé à douter.
Ne serait-ce que parce que ceux qui incitent depuis le début à la
lecture du Traité, ceux qui argumentent "texte à l’appui", curieusement
sont pour le NON, alors que les autres se contentent de déclarations
d’intention vagues et d’arguments d’autorité quand ce n’est pas de
menaces...
Je me suis dit qu’il devait y avoir anguille sous roche.
Ceux qui auront la patience de lire les lignes qui suivent
constateront avec moi qu’anguille il y a bel et bien, qu’il y en a même
beaucoup et qu’elles sont de taille.
Evidemment, on pourra me reprocher une lecture orientée :
l’exercice est difficile, et il est bien évident qu’on ne cherche
souvent dans un texte que ce qu’on veut y trouver.
Le problème avec ce texte-ci, c’est qu’on nous demande de l’approuver
dans sa totalité, ou de le rejeter. Or, il me semble que l’approbation
pure et simple réclamerait pour le moins qu’aucun des nombreux articles
qui nous sont soumis ne soit de nature à contredire l’idée que je me
fais (c’est moi qui vote, après tout) du projet européen et de sa
pérennité d’une part, mais également celle que je me fais des relations
entre la collectivité et l’individu, voire de la relations des hommes
entre eux dans la société.
Or pour chacune de ces trois pistes de lecture, j’ai trouvé dans ce
texte, qui rappelons-le, aurait force de loi s’il était approuvé,
matière aux plus vives inquiétudes, pour ne pas dire plus.
Et c’est évidemment ces "inquiétudes" que j’ai pointées, ne tenant
pas à arguer pendant des lignes et des lignes du bien ou du mieux-fondé
par rapport au Traité de Nice (celui auquel on serait obligé de se
référer si cette "Constitution" n’était pas approuvée) d’autres
articles me paraissant mieux cadrer avec mes convictions.
Attention cependant : ça ne signifie pas que les articles auxquels
je ne renvoie pas me paraissent tous bons ni sans danger, mais
seulement à coup sûr qu’ils ne m’inquiètent pas, soit parce qu’ils me
plaisent, soit parce que leur degré d’opérationnalité est modéré par
d’autres articles.
Le texte qui m’a servi de référence est celui qu’on trouve sur le site très officiel constitution
en cliquant sur ’lire le texte de la constitution’.
Ceux qui connaissent mal le fonctionnement de l’Union européenne, peuvent également se reporter au schéma info.europe
Le décor
D’abord quelques remarques importantes :
-Avant tout, notons qu’il s’agit d’un "Traité établissant une
Constitution", ce qui en soit est déjà ambigu : "Constitution" en ce
qu’il fixe des objectifs de type éthique et définit un cadre de
fonctionnement institutionnel pour atteindre ces objectifs, "Traité" en
ce qu’il avance des options et des moyens juridiques et économiques
pour l’administration du territoire sur lequel il se fonde. Notons
aussi que le territoire lui-même n’est pas établi autrement que par
l’adhésion à l’Union des Etats qui la composent déjà ou qui postuleront
à en faire partie...
-Ne perdez jamais de vue, en
lisant ces articles, que la Commission européenne (non élue au suffrage
universel) détient à la fois des prérogatives en termes de pouvoir
exécutif et de pouvoir législatif (en gros, on peut à peu près dire
qu’elle a tous les droits).
Les Conseils et le parlement ne sont le plus souvent que "consultés" ! voir article fonctionnement de l’Europe sur perfa.home
Lorsque le Traité parle de décision de l’Union, la décision de la Commission européenne est sous-entendue, pas les autres ...
-La terminologie est primordiale. Le texte est naturellement "farci" de
termes de droit, mais selon la tournure, il s’agit de droit "mou" ou de
droit "dur". Un exemple : "je vous garantis de vous rembourser", c’est
du droit "dur", alors que : "je ferai en sorte de vous rembourser",
c’est du droit "mou".
-L’unique moyen de réviser ce Traité conclu pour une durée
illimitée (IV-446) étant l’unanimité des 25 états membres (IV-443.3),
il est inutile de préciser qu’une fois adopté, il a peu de chances
d’être révisé. C’est un point sur lequel les partisans du OUI sont
assez surprenants : soit ils n’en parlent pas, soit ils l’éludent, en
expliquant au contraire que ce Traité serait en quelque sorte une
plateforme idéale pour de solides progrès en matière d’Europe sociale
ou environnementale ou que sais-je, qu’il suffirait d’amodier en
pondant des "traités complémentaires qui d’ailleurs s’imposent compte
tenu, évidemment, des insuffisances de celui-ci"... Tout ça est
idéalistement faux, et on a quelque lieu de s’inquiéter que nos élus
soient si naïfs... ou menteurs, qu’ils ne sachent pas ce qu’unanimité
et durée illimitée veulent dire.
-Ce texte se présente en quatre parties principales, puis deux
parties supplémentaires faisant partie intégrante du Traité (IV-442) ::
Partie I : Définition et objectifs de l’Union Partie II : Charte des
droits fondamentaux Partie III : Politique de l’Union Partie IV :
Dispositions générales et finales
Protocoles et annexes I & II Déclarations :
Le numéro de l’article (I, II,...) indique la partie dans laquelle retrouver cet article.
PARTIE I (30 pages, 60 articles)
Article I-3 :Il est écrit que
l’Union va "promouvoir" certaines valeurs (égalité hommes-femmes,
solidarité,...) et non les garantir. Remarquez aussi dans l’alinéa 2,
la première occurrence de la "libre concurrence", érigée, elle, haut et
fort en tant qu’objectif... Voici donc un principe économique mis au
même rang que des valeurs d’éthique sociale (et même au-dessus), et ce
dès les premières lignes d’une "Constitution"... c’est une grande
première dans un texte de ce type (sauf si l’on se réfère à la
"Constitution"... soviétique !)
Article I-5 : brave Giscard. !
il a bien retenu les commandements de l’AGCS (accord de l’OMC) qui ne
laissent comme compétence à un Etat que ses pouvoirs régaliens :
police, armée, justice. Et bien voilà, ce sera gravé dans la
Constitution...
Article I-6 : le droit adopté
par l’Union prime sur celui des Etats membres ! Voilà (entre autres) un
bon moyen de faire passer des réformes impopulaires au niveau national,
en prétextant qu’elles découlent de la politique européenne ... on
connaît déjà cette chanson. Mais plus grave : cet article signifie
purement et simplement que si une loi européenne contredit une loi
nationale, celle-ci devra être abrogée ou modifiée. C’est ce qu’on
appelle du droit... dur.
Article I-11-3 : "Dans les
domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union
intervient si et seulement si, et dans la mesure où , les objectifs de
l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante
par les Etats membres, tant au niveau central, qu’au niveau régional et
local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des
effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union."
C’est quoi "une manière suffisante" ? Donc, l’Union peut intervenir au
niveau de ma commune dans le cas où celle-ci refuserait d’appliquer une
directive jugée intolérable ? Ce sont les élus locaux qui vont être
contents ....
Bravo pour la décentralisation :. on ôte à l’Etat, on fait croire qu’on donne aux Régions, mais en fait on attribue à l’Europe.
Article I-12.1 : En gros,
lorsqu’on a donné à l’Union des pouvoirs exclusifs dans certains
domaines, les Etats doivent se soumettre. Et qui attribue cette
exclusivité de compétence à l’Union ? Eh bien, l’Union elle-même, pardi
!... en tout fédéralisme triomphant et plus du tout déguisé : là, les
"souverainistes" ont vraiment de quoi hurler...
Article I-13.4 : "L’Union
dispose d’une compétence pour définir et mettre en œuvre une politique
étrangère et de sécurité commune, y compris la définition progressive
d’une politique de défense commune".
Laissons les "souverainistes" à leurs craintes sur les inévitables
divergences de point de vue ou d’intérêts (ou les deux) qui rendront la
"définition" d’une défense commune pour le moins difficile, et lisons
cela très prosaïquement : on veut une défense commune, le Traité nous
la donnera... mais à quel prix, et qui le paiera ? C’est, si l’on a
bien lu les articles qui précèdent, à elle d’en décider... Réquisition
des moyens des armées nationales ? Financement d’une défense européenne
autonome ? Non : "mise à disposition de moyens par les Etats membres",
qui s’engagent à "améliorer progressivement leurs capacités militaires"
(article I-41) : on navigue en plein flou artistique, surtout que
l’adhésion à l’OTAN de "certains pays" est parfaitement compatible...
Là, c’est De gaulle qui se retourne dans sa tombe... Et à qui seront
confiées les prises de décisions sur les moyens ainsi obtenus (en
admettant qu’on arrive à les obtenir) ? Pour la réponse à cette
question, voir les intéressantes conjectures de l’organisation des
pouvoirs à l’intérieur de l’Union (articles I-16, 21,22,24,25,27,28, 40
et 41, entre autres) : ceux qui trouvent opaque l’organisation de notre
actuelle défense nationale auront l’impression rétrospective qu’elle
était plus limpide qu’une eau de source !
Article I-13.1 : On précise les domaines de compétences déjà validés :
-Douane Règles de concurrence pour le marché intérieur Politique monétaire
-Conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de
la politique commune de la pêche Politique commerciale commune Pour le
business et ses règles, l’Etat s’efface, c’est l’Europe qui décide.
Pour les ressources biologiques (préservation des espèces, quotas de
pêche, etc...) pareil !
On pourrait penser que cela éviterait les débordements de certains
pays, mais nous avons déjà vu comment se comportait l’Europe sur le
plan de l’écologie et de la biologie (OGM, vache folle...).
Articles I-19 à I-41 - Ces
articles concernent l’organisation du fonctionnement des institutions
internes de l’Union - ils sont rassemblés sous les deux seuls "titres"
qui, soit dit en passant, sont proprement constitutionnels dans ce
Traité.
Pour l’essentiel, ils se contentent de reproduire les règles
actuelles du fonctionnement de l’Union, avec toujours un pouvoir
exorbitant confié à la "Commission", tant au plan exécutif que
législatif. On notera aussi avec intérêt tout ce qui se rapporte à
l’organisation du pouvoir en termes de politique étrangère, sécurité et
défense. Là, il y a de l’innovation, mais c’est assez inquiétant (voir
ci-dessus, article I-13.4)
Article I-43 - Solidarité entre
les Etats contre le terrorisme ; A compléter par la lecture de la
partie III du Traité, qui en dit plus sur les mesures et les moyens.
Article I-47.4 - Après toute
une série de dispositions qui précisent le mode de prise des décisions
au sein de l’Union, et dont chacune mériterait d’être analysée en
détails car il en va rien moins que de la représentativité des nations
(mais là, ça devient d’une complexité extraordinaire, et évidemment
c’est un chapitre dont nous n’entendrons pas parler dans le camp des
tenants du OUI au référendum, et que les tenants du NON ne pourront
jamais expliquer sur les ondes, parce que les présentateurs démocrates
trouvent très chiant pour leur public qu’on parle avec précision et
avec chiffres), nous ne pouvons que nous arrêter une nouvelle fois à ce
fabuleux gadget que la PROPAGANDE pour le OUI nous jette sans arrêt en
pâture, espérant prouver l’immense souci démocratique du législateur
européen : d’après cet article en effet, on aura le droit "d’inviter la
Commission à soumettre une proposition appropriée" (tous les termes de
cette blague mériterait d’être soulignés), on ne sait pas à qui, et à
la condition que cette "invitation" soit proposée par AU MOINS UN
MILLION de citoyens D’UN NOMBRE SIGNIFICATIF d’Etats Membres
!!!!!!!!!!! Et dans ce cas très improbable (à propos, "significatif",
c’est combien d’Etats ?) , la Commission n’est même pas obligée de
saisir quelque instance de l’Union que ce soit ! Bravo le verrouillage
!
Article 1-50.1 "Afin de
promouvoir une bonne gouvernance, et d’assurer la participation de la
société civile, les institutions, organes et organismes de l’Union
œuvrent dans le plus grand respect possible du respect du principe
d’ouverture"... le plus grand respect (tout court) eut été nettement
plus rassurant, dans ce paragraphe typique du "droit mou".
D’autant qu’au paragraphe 3 du même article, on apprend que si par
principe tout un chacun aura accès à tout document (faudra déjà avoir
le temps de les éplucher), en fait, l’Union se réserve le droit
d’obvier à ce fort aimable droit d’accès en édictant tous principes
utiles à le limiter... C’est pas de l’ouverture, ça ?
Article 1-58 : il fixe aux pays
candidats deux conditions pour appartenir à l’Union : respecter les
valeurs visées à l’article 1-2, et être un "Etat européen".
Bizarrement, il n’y a aucune référence à quelque critère de définition
de l’Europe que ce soit... Alors, où s’arrête l’Europe ? Qu’est ce qui
la caractérise, la distingue où l’unifie de la géographie, de
l’histoire, de la religion, de la biologie ou de la climatologie ?
Réponse à chaque nouvelle candidature...
PARTIE II - La Charte des droits fondamentaux (14 pages, articles 61 à 114)
NB : cette louable Charte, voit malheureusement la portée de
nombreux de ses articles les plus "fondamentaux" explicitement limitée
dans les protocoles annexés au présent Traité, et qui font partie
intégrante du texte soumis à référendum. De plus, la rédaction de la
majorité des articles est représentative du "droit mou" dont nous
parlions ci-dessus. De toutes façons, c’est pas grave, parce que la
Charte contient un article qui la rend à peu près totalement inopérante
(voir article II-111 et ses "explications")
Article II-62 : cet article qui
reconnaît le droit de toute "personne" à la vie, et prohibe la peine de
mort, est limitée en annexe (page 114) par une liste de cas où « la
mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article »,
en précisant - par exemple - qu’ « un Etat peut prévoir dans sa
législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre
ou de danger imminent de guerre ».
Article II-63, 64, 65 : clonage, eugénisme, torture, esclavage et travail forcé sont interdits dans les Etats membres. C’est bien le moins....
Article II-66 : « Toute
personne a droit à la liberté et à la sûreté », mais il est expliqué
(p.115) que cette garantie ne s’applique pas, par exemple, « s’il
s’agit de la détention régulière (...) d’un alcoolique, d’un toxicomane
ou d’un vagabond. »
Article II-70 : "Liberté de
penser, de conscience et de religion. ...liberté de manifester sa
religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public
ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et
l’accomplissement des rites". Il va apparemment falloir "harmoniser"
rapidement la toute nouvelle loi française concernant les
manifestations vestimentaires ostentatoires dans les lieux publics...
Article II-72 : "Toute personne
a droit à la liberté de réunion pacifique, et à la liberté
d’association à tous les niveaux (...)", mais on apprend page 116 que
des restrictions pourront être « imposées à l’exercice de ces droits
par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration
de l’Etat » si cela est nécessaire à l’ordre public, à la sécurité
nationale, etc...., mais aussi... « à la protection de la santé ou de
la morale » !
Article II-75 : point 3 : "Les
ressortissants des pays tiers qui sont autorisés à travailler sur le
territoire des Etats membres ont droit à des conditions de travail
équivalentes à celles dont bénéficient les citoyens de l’Union". Bien,
mais pour les ressortissants d’un pays européen X qui viendraient
travailler dans un autre pays européen, rien de précis (voir la
directive Bolkenstein, apparemment... Est-ce de cette façon qu’on
entend défendre le "haut niveau de protection sociale" claironné ?).
Article II-81 : cet article,
c’est une bonne chose, consacre l’interdiction de toute discrimination
fondée sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou
sociales, les caractéristiques génétiques (...)
Article II 87, 88 : droits des
travailleurs : information, consultation, négociation...c’est bien
gentil, mais que vaudront ces droits dès lors que la directive
Bolkestein sera appliquée ?
Article II 91 : il répond
parfaitement à la question précédente : tous ces droits ne vaudront
rien, puisqu’en vertu de cet article de droit hyper-mou, il est
seulement reconnu que tout travailleur a droit à "une limitation de la
durée maximale du travail et à des périodes de repos quotidiennes et
hebdomadaires". C’est quoi "maximale" ?
Article II-94 : Le droit
d’accès aux prestations de sécurité sociale - ici encore aucune
précision sur le territoire d’application des prestations. La directive
Bolkestein est parfaitement compatible avec ce curieux droit.
Article II-96 : première
occurrence des "services d’intérêt économique général" (SIEG), définis
nulle part et qui peuvent désigner aussi bien les services publiques
(quasiment absents du texte du Traité à une ou deux occurrences près)
que des services privés que l’Union ou les Etats peuvent reconnaître
d’intérêt économique général, laissant ainsi la porte ouverte à nombre
d’arrangements possibles, et la fermant presque complètement à la
possibilité pour une collectivité démocratiquement élue d’organiser ou
de soutenir un service qui lui paraîtrait nécessaire à la bonne
administration de son territoire, dans la mesure où l’Union pourra être
saisie à tout moment par une entreprise privée arguant qu’un service
public ne respecte pas (par essence, mais peu importe) l’équité de la
concurrence.
Article II-97 : "Un niveau
élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité
doivent être intégrés dans les politiques de l’Union..."- droit mou !
Article II-111 : cerise sur le
gâteau, donc, que cet article (et ses explications, page 122) qui prend
soin de préciser que, contrairement à la plupart des articles de la
Constitution, l’ensemble de la Charte des Droits Fondamentaux ne
s’impose pas aux Etats membres dans leur législation intérieure ! Cette
Charte, est-il précisé, "s’adresse aux institutions, organes et
organismes de l’Union (...) ainsi qu’aux Etats membres uniquement
lorsqu’ils mettent en oeuvre le droit de l’Union."
C’est-à-dire que seules les lois européennes et les institutions
européennes doivent la respecter, mais qu’aucun citoyen européen ne
peut invoquer la Charte s’il a un problème face à son Etat ou à son
employeur (sauf si cet employeur se trouve être le Conseil Européen, la
Cour de Justice Européenne ou toute autre institution européenne...).
Les Etats membres restent donc libres de conserver ou de se doter
de lois moins protectrices des droits humains. Autant dire que cette
Charte toute entière, dont les articles est essentiellement là pour
décorer !
PARTIE III - Les Politiques et le fonctionnement de l’Union (articles 115 à 436, 131 pages)
Articles III-116 à III-122 :
droit mou : une série de déclarations d’intention concernant la prise
en compte par l’Union dans tous les articles de cette Partie, des
principes d’égalité hommes/femmes, de protection de l’environnement, de
protection sociale, des consommateurs, du respect des animaux et des
services d’intérêt économique général, où dans chaque catégorie on
prend cependant bien garde à laisser la porte ouverte à tous les
"usages" et "traditions" possibles. C’est un peu l’auberge espagnole,
cette affaire, si on comprend bien !
Méfions-nous toutefois du droit mou ! L’article 122, après un
méli-mélo de reconnaissance et de platitude sur les SIEG, en une phrase
finale traîtresse parce que de droit dur, attribue à l’Union seule de
fixer les principes et conditions d’existence desdits SIEG (et donc des
services publics), ne laissant aux Etats que le droit "de fournir, de
faire exécuter et de financer" ces services.
Articles III-137 et nombreux suivants :
à partir d’ici on entre dans le fameux parti pris d’instauration d’une
économie libérale échevelée, qui fait tant débat dans les officines néo
malthusiennes, ATAC, CGT et consort. Le parti pris est évident, et très
clairement affirmé. En veut-on, n’en veut-on pas ? La réponse est
affaire de point de vue. Je me contenterai de m’étonner pour ma part
qu’une "Constitution", avec tous les guillemets qu’on veut, soit le
lieu d’un tel déballage de principes économiques. Et de regretter par
ailleurs, que ces principes, tout respectueux qu’ils s’affichent des
intérêts des femmes, des chiens, des rivières et des travailleurs (voir
ci-dessus articles III-116 à 122), fondent sans aucune restriction le
bien public et le bien individuel sur les principes de l’économie de
croissance, dont on sait depuis près de 30 ans les dégâts irrémédiables
qu’elle entraîne nécessairement sur le milieu naturel, la spiritualité,
l’exigence en matière de création artistique, ainsi que sur toute
société organisée sur d’autres principes économiques.
Article III-144 : "les
restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de
l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres
établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la
prestation. La loi ou loi-cadre européenne peut étendre le bénéfice de
la présente sous-section aux prestataires de services ressortissants
d’un État tiers et établis à l’intérieur de l’Union.
Je souligne cette phrase à la fois compliquée et anodine qui grave
"dans le marbre" la possibilité aux accords de l’AGCS de s’appliquer
sans ambages au sein de l’Union. Encore une fois, est-il indispensable
d’intégrer une contrainte économique à un Traité constitutionnel ?
Article III-148 : "Les États
membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services
au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu de la loi-cadre
européenne adoptée en application de l’article III-147, paragraphe 1,
si leur situation économique générale et la situation du secteur
intéressé le leur permettent." On a beau avoir pas mal de reproches à
faire au fonctionnement de certains "services publics", est-il
raisonnable de programmer leur fin avec autant d’acharnement ?
Article III-151.6.a : "(...) la
commission s’inspire de la nécessité (...) d’assurer une expansion de
la consommation dans l’Union" - voir ci-dessus, no comment.
Article III-156 : "les
restrictions tant aux mouvements de capitaux qu’aux paiements entre les
Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont
interdites" et hop, la taxe Tobin passe définitivement à la trappe !
Non seulement on ne se sera pas beaucoup creusé pour essayer de la
mettre en place, mais on ferme la porte à toute possibilité de tirer un
quelconque profit social de la spéculation. Vive l’Europe solidaire !
Article III-167 : c’est le seul
article qui laisse un peu de champ aux Etats pour allouer des aides de
nature économique. On peut en apprendre la liste par cœur, elle n’est
pas longue. A noter en particulier au paragraphe 3.c l’aide possible
pour faciliter le développement de certaines activités (on pense tout
de suite à l’immense champ des activités culturelles) ou régions
économiques, quand elle n’altère pas les conditions des échanges dans
une mesure contraire à l’intérêt commun (on ne pense plus aux activités
culturelles !) ; puis le paragraphe 3.d qui traite expressément de
l’aide à la promotion au secteur culturel (on y repense en se disant
que c’est déjà pas si mal, d’aider la promotion), quand elle n’altère
pas les conditions des échanges et de la concurrence dans l’Union dans
une mesure contraire à l’intérêt commun (et là on se dit définitivement
que vu les implications du privé et les enjeux financiers souvent
énormes de la production artistique, autant dire qu’à brève échéance
plus une subvention au secteur culturel ne sera possible - avec le
risque énorme d’une main mise définitive de l’argent sur la création
artistique).
Articles III-170 à176 : Les
"dispositions fiscales" envisagées par le Traité ne concerne dans cette
partie que les échanges commerciaux. Les taux de TVA sont harmonisés.
Pour les autres impôts et taxes impactant les échanges commerciaux, on
indique la direction de l’harmonisation, mais avec pas mal de
possibilité d’atermoyer, et une fois atteinte l’harmonie, d’autres
possibilités pour les Etats de louvoyer (dont pour des raisons
sanitaires, on se rappelle du cas de la vache folle) ou pour des
raisons environnementales (on pourrait applaudir en pensant aux OGM,
mais las, dans ce cas il est à craindre que les imprécisions laissés
dans le droit très mou exposé, soit au contraire l’occasion d’empêcher
un Etat membre de prendre la moindre mesure allant dans le sens de
l’interdiction).
Articles III-177 à 202 (début du chapitre 2 de ce 3e Titre, consacré à la politique économique et monétaire) :
encore l’économie de croissance, toujours l’économie de croissance... Allez, on y croit !
Notons l’article III-188 qui
permet à la banque centrale européenne d’être la seule décisionnaire de
ses actes, c’est à dire consacrant l’impossibilité absolue de l’Union
d’influer de quelque façon que ce soir sur la politique monétaire :
"Dans l’exercice des pouvoirs et dans l’accomplissement des missions et
des devoirs qui leur ont été conférés par la Constitution et le statut
du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale
européenne, ni la Banque centrale européenne, ni une banque centrale
nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne
peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions,
organes ou organismes de l’Union, des gouvernements des États membres
ou de tout autre organisme." Notons aussi les textes spécifiques pour
les pays membres n’ayant pas l’Euro comme monnaie, et qui du coup sont
allégés d’un nombre impressionnant de contraintes vis-à-vis de leur
situation financière, leur seule vraie restriction étant de n’avoir pas
de commissaire élu au sein de la Banque Centrale. On constate que les
anglais(et quelques autres) ont encore une fois plutôt "bien joué"...
Article III-203 : « L’Union et
les États membres s’attachent, conformément à la présente section, à
élaborer une stratégie coordonnée pour l’emploi et en particulier à
promouvoir une main-d’œuvre qualifiée, formée et susceptible de
s’adapter ainsi que des marchés du travail aptes à réagir rapidement à
l’évolution de l’économie » Il paraît qu’il y en a que ce genre de
"promesse" (oui, c’est encore du droit mou) fait rêver... A bien y
regarder, pour moi ce serait plutôt la quintessence de l’horreur...
Car, au-delà du pseudo-souci du plein emploi "qualifié" que se fixe cet
article, comment ne pas voir que s’affiche ici plus encore qu’ailleurs
le Projet Sociétal pitoyable et monstrueux qu’on est presque arrivé à
nous faire réclamer : que les citoyens ne soient plus définis que par
leur aptitude à produire dans le cadre d’un marché qui seul les
justifie. Big Brother à notre portée, et qui n’a même plus besoin de
caméras pour formater les hommes ! Quel espérant projet ! "captivant"
serait plutôt le terme ad hoc.
Articles III-204 à 208 :
heureusement, le charabia pseudo incitatif à l’emploi et à la
surveillance de son évolution, nous rassurent un peu sur l’inaptitude
complète de l’Union à produire en ce domaine autre chose que des
rapports et des études pendant encore quelques années. Mais cette
volonté d’encadrer encore et toujours plus ce qu’on appelait autrefois
les métiers, témoigne à tout le moins d’une pensée planificatrice qui
devrait servir de repoussoir plutôt que de modèle.