La caméra, nouvelle arme des policiers européens
[Toujours sur le sujet des luttes
anti-terroristes et des libertés individuelles... : direct de
l'évolution d'une société vers le contrôle de tous les instants... Big
Brother, c'est pour demain... Et ça vous fait quoi ?]
Pour
traquer poseurs de bombes et terroristes, les Etats réfléchissent à une
plus grande utilisation de la vidéosurveillance, comme en
Grande-Bretagne.
Par Jacky DURAND
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vendredi 05 août 2005 (Liberation - 06:00)
http://www.liberation.fr/page.php?Article=315627
C'est
une petite phrase qui revient, ces temps-ci, chez les policiers
français : «Il y aura peut-être un avant et un après-Londres»,
disent-ils quand ils évoquent les moyens technologiques déployés par
leurs collègues britanniques pour traquer et identifier les poseurs de
bombes des 7 et 21 juillet.
La vidéosurveillance, massivement
implantée dans la capitale britannique, n'a certes pas dissuadé les
poseurs de bombes. Mais jamais dans l'histoire moderne de la police
judiciaire le recours aux enregistrements des caméras, allié aux
techniques d'investigations traditionnelles, n'a été revendiqué à une
aussi grande échelle pour traquer des criminels présumés. Au point que
certains n'hésitent pas à prédire «un bond en avant en matière de
traçabilité du terrorisme». «On est en train de changer de monde,
estime un commissaire divisionnaire. On va vers une assistance
technologique très importante si le terrorisme se durcit encore. La
question n'est plus de savoir où il y aura un attentat mais quand il
aura lieu. D'où l'utilité de se prémunir en moyens de dissuasion et
d'identification comme la vidéosurveillance ou la biométrie.» Au niveau
européen, plusieurs gouvernements ont déjà annoncé qu'ils modifieraient
leur législation pour faciliter l'utilisation des caméras et des
données téléphoniques pour lutter contre le terrorisme. Suscitant
aussitôt des inquiétudes sur la préservation des libertés.
Noyés.
Au total, les policiers britanniques ont épluché plus de 35 000
cassettes issues des milliers de caméras qui truffent Londres.
Saisissant des visages d'hommes noyés dans la foule. Le 7 juillet, à 7
h 20, Hasib Hussain a été filmé par des caméras en train de traverser
la gare de Luton, au nord de Londres, avec son sac à dos censé contenir
les explosifs qui ont tué quatorze personnes dans l'autobus numéro 30 à
Tavistock Square. Le 21 juillet, à 12 h 36, Mokhtar Saïd Ibrahim a été
filmé, lui, par la caméra embarquée dans le bus à impériale de la ligne
26, à l'étage duquel il est soupçonné d'avoir tenté, sans succès, de
faire exploser sa bombe. Les enquêteurs ont pu reconstituer des
itinéraires avec les résultats que l'on sait : dès le 12 juillet, ils
savaient que les quatre auteurs de la première vague d'attentats
étaient arrivés en train à Londres le 7 juillet et qu'ils s'étaient
retrouvés ensemble à la gare de King's Cross, vingt minutes avant les
explosions. Dès le 22 juillet, au lendemain des attentats manqués,
Scotland Yard diffusait des images des quatre auteurs présumés des
tentatives d'attentats. Parallèlement, la police invitait le public à
lui transmettre toute information à sa disposition. Scotland Yard
aurait reçu 5 000 appels. Cette méthode, régulièrement utilisée par la
police britannique dans ses investigations criminelles, a elle aussi
largement contribué au succès de l'enquête.
«On est franchement
bluffés par le travail des Anglais», reconnaît un policier français. Un
autre se dit «admiratif» face à la qualité des images recueillies par
les caméras londoniennes. Le Royaume-Uni est le premier pays d'Europe
en matière d'équipement en vidéosurveillance. Il y aurait plus de trois
millions caméras rien que dans l'espace public. A Londres, 1 400 sont
installées dans le métro et environ 8 000 à bord des bus de la
capitale. «Les Londoniens ont mis le paquet en termes d'équipement
vidéo. Je ne suis pas certain que si demain nous sommes confrontés au
même type d'enquête à Paris nous obtiendrons le même résultat avec les
caméras dont nous disposons», reconnaît un haut fonctionnaire.
Si
le maillage est plus modeste en France, le recours à la
vidéosurveillance est cependant devenu «un réflexe pour les
enquêteurs», estime un commissaire divisionnaire de police judiciaire.
«Dès que j'ai un flingage en ville, j'épluche les enregistrements des
caméras et les relevés des appels des antennes de téléphones mobiles.
On ne découvre pas forcément la scène du crime mais on peut repérer un
gars suspect dans les alentours avant ou après les faits.» En juillet
2004, Marie Leblanc, 23 ans, avait raconté avec moult détails aux
policiers son agression imaginaire dans le RER D. Mais l'absence de
toute trace de ses agresseurs sur les bandes de vidéosurveillance du
RER avait éveillé les premiers soupçons. La localisation de ses appels
sur son téléphone portable avait confirmé son mensonge. «La téléphonie
et la vidéosurveillance sont complémentaires pour nos enquêtes. Ce sont
des mouchards extraordinaires.» Un autre enquêteur insiste sur la
fiabilité de la technologie par rapport à la perception humaine. «Quand
on n'a que des témoignages humains sur un crime ou un attentat, on
essaie de reconstituer le film des événements avec son lot
d'approximations et d'erreurs. Surtout quand les gens sont traumatisés.
La caméra, elle, ne connaît pas les chocs émotionnels.»
Nicolas
Sarkozy a indiqué, le 28 juillet, qu'un projet de loi antiterroriste
contenant des dispositions sur la vidéosurveillance et les données
téléphoniques serait prêt à la fin de ce mois pour discussion dès
septembre et entrée en vigueur à la fin de l'année. Sont étudiées des
mesures comme l'autorisation pour les personnes morales, notamment les
commerces, de laisser leur caméra visualiser, outre les locaux
eux-mêmes, leurs «abords immédiats», qui pourraient être utiles à une
enquête, à l'exemple des marchands de journaux dans les gares. Le
ministre de l'Intérieur veut également accélérer l'équipement des
transports publics en caméras.
Europe. En matière de téléphonie
mobile, Paris et d'autres capitales européennes vont demander aux
opérateurs de réseaux de téléphones portables de stocker en permanence
pendant un an (ce qui est déjà le cas en France) tous les éléments
(hors contenu des conversations) des communications : lieux d'appel et
de réception, identification des numéros, durée de la conversation. Une
mesure similaire est à l'étude en Espagne où la police voudrait mettre
fin à l'anonymat des 24 millions d'Espagnols ou résidents qui utilisent
des cartes téléphoniques prépayées. C'est ce type de téléphones
mobiles, sans contrat, que les auteurs des attentats de Madrid en mars
2004 (191 morts) avaient utilisé comme retardateurs pour déclencher
leurs bombes. Et Rome a décrété l'obligation de désormais fournir une
pièce d'identité lors des achats de puces électroniques pour téléphones
portables.