Une mauvaise constitution qui révèle un secret cancer de notre démocratie
sur http://etienne.chouard.free.fr/Europe/index.htm
Chers collègues et amis,
Après six mois de réflexion intense, se cristallise une argumentation
autour du "traité constitutionnel", à partir de lui mais au-delà de
lui, une argumentation qui n’est ni de droite ni de gauche, et qui montre un
danger historique pour nous tous, au-dessus de la politique. Pour ces raisons,
cette courte argumentation devrait intéresser les citoyens de tous bords.
Il y a six mois, en septembre 2004, j’étais, comme tout le monde,
favorable à ce texte sans l’avoir lu, par principe, "pour avancer",
même si je savais bien que les institutions étaient très imparfaites. Je ne
voulais pas être de ceux qui freinent l’Europe. Je crois vraiment que l’immense
majorité des Européens, au-delà des clivages gauche/droite, aiment cette belle
idée d’une Europe unie, plus fraternelle, plus forte. C’est un rêve de paix,
consensuel, très majoritaire.
Je n’avais pas lu le texte et je n’avais absolument pas le temps :
trop de travail… Et puis l’Europe c’est loin, et puis avec tous ces hommes
politiques, je me sentais protégé par le nombre : en cas de dérive, il
allait bien y en avoir quelques-uns pour nous défendre… et je me dispensais de
"faire de la politique", c’est-à-dire que je me dispensais de
m’occuper de mes propres affaires.
Déjà des appels s’élevaient contre le traité, mais ils venaient des
extrêmes de l’échiquier politique et pour cette simple raison, je ne commençais
même pas à lire leurs arguments, restant en confiance dans le flot de l’avis du
plus grand nombre sans vérifier par moi-même la force des idées en présence.
Et puis soudain, des appels sont venus de personnes non suspectes
d’être antieuropéennes. J’ai alors lu leurs appels, sans souci des étiquettes,
et j’ai trouvé les arguments très forts. Je me suis mis à lire, beaucoup, des
livres entiers, de tous bords, Fabius, Strauss-Kahn, Giscard, Jennar, Fitoussi,
Généreux, etc. et beaucoup plus d’articles des partisans du traité parce que je
voulais être sûr de ne pas me tromper. Et plus je lis, plus je suis inquiet.
Finalement, aujourd’hui, je ne pense plus qu’à ça, je ne dors presque plus,
j’ai peur, simplement, de perdre l’essentiel : la protection contre
l’arbitraire.
Je continue aujourd’hui à lire toutes les interventions, ceux qui sont
pour, ceux qui sont contre, je continue à chercher où est la faille dans mon
raisonnement et le présent texte est un appel à réfléchir et à
progresser : si vous sentez une faille, parlons-en, s’il vous plaît,
tranquillement, honnêtement, c’est très important. Je peux me tromper, je
cherche sincèrement à l’éviter, réfléchissons ensemble, si vous le voulez bien.
Je sens que c’est mon rôle de professeur de droit
d’en parler un peu plus que les autres, d’en parler à mes collègues, mais aussi
à mes élèves, aussi aux journalistes. Je serais complice si je restais coi.
J’ai ainsi trouvé plus de dix raisons graves de s’opposer à ce texte
dangereux, et encore dix autres raisons de rejeter un texte désagréable, pas
fraternel du tout en réalité. Mais les cinq raisons les plus fortes, les plus
convaincantes, celles qui traversent toutes les opinions politiques parce
qu’elles remettent en cause carrément l’intérêt d’avoir une réflexion
politique, me sont apparues tardivement car il faut beaucoup travailler pour
les mettre en évidence. Ce sont ces raisons-là, les cinq plus importantes, sur
lesquelles je voudrais attirer votre attention et solliciter votre avis pour
que nous en parlions ensemble, puisque les journalistes nous privent de débats
publics.
Dans
cette affaire d'État, les fondements du
droit constitutionnel sont malmenés, ce qui rappelle au premier plan cinq
principes traditionnels conçus pour protéger les citoyens.
1. Une Constitution doit être lisible pour permettre un vote
populaire : ce texte-là est illisible.
2. Une Constitution n’impose
pas une politique ou une autre : ce texte-là est partisan.
3. Une Constitution est
révisable : ce texte-là est verrouillé
par une exigence de double unanimité.
4. Une Constitution protège de la
tyrannie par la séparation des pouvoirs et par le contrôle des pouvoirs :
ce texte-là n’organise pas un vrai
contrôle des pouvoirs ni une réelle séparation des pouvoirs.
5.
Une Constitution n’est pas
octroyée par les puissants, elle est établie par le peuple lui-même,
précisément pour se protéger de l’arbitraire des puissants, à travers une
assemblée constituante, indépendante, élue pour ça et révoquée après : ce
texte-là entérine des institutions
européennes qui ont été écrites depuis cinquante ans par les hommes au pouvoir,
à la fois juges et parties.
Ces cinq principes sont développés de façon intéressante sur le site, je ne les poste pas ici car c'est un peu long.