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Chez la Fée
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1 avril 2005

Nous sommes toutes des prostituées !

http://www.feesdulogis.net/articles.html
Par Maïtena.

Depuis la fermeture des maisons closes en 1946, la France ne cesse de se réclamer, sur la scène internationale, de l’abolitionnisme.
Au nom de l’égalité entre les sexes, il s’agit pour l’Etat de ne plus cautionner, c’est-à-dire réglementer, la prostitution, perçue désormais comme le symbole d’un système de domination masculine archaïque : une violence envers les femmes. La France a d’ailleurs ratifié en 1960 une convention internationale stipulant que les personnes prostituées ne peuvent être soumises à un régime spécial de fichage, contrôle policier, sanctions… Si l’Etat se refuse à institutionnaliser le commerce des corps et punit le proxénétisme, le fait de se prostituer ne constitue pas une illégalité dans le droit français.

Enfin, croyait-on… La loi Sarkozy adoptée en mars 2003 stipule que « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende ».

Plusieurs remarques s’imposent…

D’abord, l’inutilité de la loi puisque le racolage actif faisait déjà auparavant l’objet d’une contravention, permettant d’intervenir en cas de trouble à l’ordre public…
Il est vrai que celle-ci ne permettait pas, contrairement à la loi Sarkozy, le placement en garde à vue, l’expulsion des étrangères en situation irrégulière, et la mention du nom des coupables dans ces nouveaux  « fichiers de la délinquance » autorisés par la loi pour la sécurité intérieure…

Ensuite, la loi Sarkozy crée un concept flou, dangereux, et stupéfiant de non-sens : le « racolage passif »… Nous qui pensions bêtement, avec le dictionnaire Hachette, que le terme racolage désignait une action !
Comment alors décider que certaines attitudes relèvent du « racolage passif » ? Une longueur de jupe jugée insuffisante ? Une chevelure arrogamment teintée ? Faut-il, pour qu’il y ait racolage, que des clients potentiels rôdent alentour, ou peut-on racoler le vide, seule dans une rue ? On s’en remet entièrement à l’appréciation policière… Et on sent bien, sans donner dans l’anti-flic primaire, que c’est ouvrir grand la porte à l’arbitraire.
Par ailleurs cette incrimination est extrêmement préoccupante sur un plan symbolique, dans le message qu’elle peut faire passer aux hommes : avoir le triple culot d’être une femme, en jupe, sur un trottoir – voyez-vous ça – désigne chacune comme une personne prostituée, ou prostituable, ce qui revient au même. C’est accréditer l’idée que les femmes non accompagnées dans la rue sont achetables.
Soulignons également une forme de proxénétisme étatique, puisque les prostituées interpellées pour racolage paieront l’amende infligée… Avec l’argent récolté par ledit  racolage ! On leur reproche donc un délit dont on veut bien toucher les recettes…

Surtout, on peut s’étonner des discours réjouis tenus par Nicolas Sarkozy quant à la baisse constatée des chiffres de la prostitution, puisqu’on sait bien qu’elle a seulement changé de visage, proliférant désormais en toute discrétion dans les bars à hôtesses, les appartements, les salons de massage…
C’est bien la visibilité de la prostitution qui est visée par la loi, et c’est toute l’hypocrisie de l’ordre moral bourgeois qui reparaît, avec sa politique de la vitrine…

N’est-ce pas d’ailleurs dans cette optique que s’inscrit la lutte contre la mendicité, observée dans plusieurs centres villes, afin de déplacer le phénomène à la périphérie des agglomérations urbaines ? Des designers n’ont-ils pas conçu à cet effet, pour l’équipement de jardins publics et de stations de métro, des sièges anti-ergonomiques ne permettant pas de s’allonger ? Le dormeur potentiel, découragé, ira ailleurs établir ses pénates.
On conteste donc à certains, d’une certaine manière, le droit au sol. On peut certes pointer du doigt cette chasse aux indésirables, mais n’en sommes-nous pas un peu complices, nous qui demandons à nos représentants de nous épargner des visions souvent pénibles ?

La loi Sarkozy sur la prostitution répondait à une forte demande des riverains et des municipalités, de droite comme de gauche, depuis 1995 ! Cette politique « trompe-l’œil » mise en place sous l’ère Sarkozy, montre bien comme on renoue avec les vieilles peurs sociales : c’est ce fameux « sentiment d’insécurité », donnée plus psychologique que réelle, suscité de tout temps par les populations marginales, perçues comme une inquiétante et menaçante nébuleuse, « peuple de l’abîme » (Jack London). Il y a donc là, sans doute, une responsabilité et une démission collectives…

Choquante symboliquement, allant à l’encontre de tous les engagements français internationaux, la loi Sarkozy est par ailleurs peu appliquée, parce qu’elle est floue, et laisse donc aux juges d’instruction réticents la possibilité du boycott et de la relaxe des prostituées au motif que « L’infraction de racolage est insuffisamment caractérisée »…
Certains tribunaux correctionnels parviennent même à faire condamner le client, pour racolage et incitation à des rapports sexuels marchands… Et en effet, la véritable question ne serait-elle pas celle du client ? On fait comme si la prostitution était un problème de femmes… Ne serait-elle pas plutôt, et surtout, un problème d’hommes ?
90 % de la prostitution est féminine, on ne peut donc ignorer ce qui s’y joue en termes de rapports entre les sexes. Et on voudrait que la France, au lieu de criminaliser les victimes de la traite ou les femmes ayant choisi librement la prostitution, s’inspire de la loi suédoise, qui pénalise le client, parce que… le corps des femmes n’est pas une marchandise !
Comment les femmes parviendraient-elles à l’égalité politique, sans que soit posé cet interdit fondamental ? Si l’opposition à la loi sur les prostituées fédère une majorité de responsables politiques de tout bord, la question du client est politiquement beaucoup plus dérangeante, parce qu’elle remet en cause des schémas ancestraux…

Pourquoi parler prostitution, dans les pages d’une revue lesbienne ? Par principe de sororité d’abord. Mais surtout parce que c’est chaque femme, hétéro ou lesbienne, prostituée ou non, que le sujet concerne.
La prostitution est un enjeu de société : dans quel monde voulons-nous vivre ? Celui de l’égalité hommes/femmes, ou celui, cynique et froid, machiste et humiliant, du néo-libéralisme total, pour lequel la sexualité est une « prestation de service comme une autre », du moment qu’elle génère de l’argent, et fournit les hommes en bataillons de femmes–objets ?

Face à la domination d’un sexe sur un autre, face aux compromissions et aux agressions de l’Etat, nous sommes toutes des prostituées !

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Commentaires
L
Oui ça me fout en boule aussi...<br /> <br /> Ce paragraphe est trés juste :<br /> "La prostitution est un enjeu de société : dans quel monde voulons-nous vivre ? Celui de l’égalité hommes/femmes, ou celui, cynique et froid, machiste et humiliant, du néo-libéralisme total, pour lequel la sexualité est une « prestation de service comme une autre », du moment qu’elle génère de l’argent, et fournit les hommes en bataillons de femmes–objets ?"
E
C'est clair je suis d'accord avec le concept que c'est le client qu'il faut pénaliser et non l'inverse!!! Ceci dit de là à faire de la prostitution un métier ou une "prestation de service" comme en Allemagne, il y'a un pas. Il s'agit d'apporter du plaisir en bafouant la dignité d'une personne, dignité qui n'a pas de prix... et qui ne se rachète pas. Je suis écoeurée de ce pouvoir qu'on les hommes de retourner encore à leur avantage leur perversité contre la femme pour mieux l'avilir, tous les moyens sont vraiment permis pour nous rabbaisser toujours plus bas...GRRRRRRRRRR
Chez la Fée
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